Interview avec Horia Dociu, directeur artistique de Guild Wars 2
Il y a quelques mois, Guild Wars 2 a changé de directeur artistique puisque Daniel Dociu, qui était en poste depuis le premier Guild Wars, a laissé la place à son fils Horia Dociu. A l'occasion de cette transition, JeuxOnline a pu poser quelques questions au nouveau directeur artistique.
JeuxOnline : Il y a environ dix ans, vous étiez concepteur d'environnements sur Guild Wars et ses deux premières extensions. Quel était votre rôle à l'époque, et quels sont vos environnements préférés dans Guild Wars et Guild Wars 2 ?
Horia Dociu : J'étais concepteur d'environnements sur GW Prophecies, GW Factions et GW Nightfall. Après ça, j'ai approché mon père et les fondateurs d'ArenaNet avec l'idée de créer un département "cinématiques" plus orienté sur l'art, et j'ai passé des entretiens internes pour devenir concepteur de story-board pour GW Eye of the North. Par la suite, je suis devenu directeur de l'équipe cinématique et j'ai proposé un nouveau style de cinématiques animées en 2D qu'on utilise aujourd'hui. J'ai assemblé une petite équipe et nous avons réalisé toutes les bande-annonces et les cinématiques en jeu pour GW2. ArenaNet laisse vraiment les gens s'épanouir dans de nouveaux rôles, à mesure que leurs compétences s'améliorent et que leur curiosité se développe. Après huit ans passés à travailler et à grandir là-bas, je me suis lancé pour passer directeur artistique à mon tour, sur Infamous Second Son, un titre de la PS4 de Sony. Après quatre ans avec Sony, je suis revenu à ArenaNet et j'entame ma dixième année dans ce studio. Je ne pouvais tout simplement pas rester éloigné de Guid Wars !
Concernant mes environnements préférés, c'est difficile à dire. Une des choses que j'aime le plus dans Guild Wars, c'est qu'il y a une incroyable variété de continents, de biomes et de styles d'architecture différents pour chaque race et chaque société du jeu. Toutes les régions ont leurs propres attraits, mais pour moi, les meilleurs moments sont la découverte de petits trésors de beauté que je n'avais jamais vus auparavant, au hasard de balades sur une version finale du jeu. Il y a tellement d'artistes talentueux ici, et le jeu est tellement immense, qu'il est difficile d'en explorer tous les recoins. Chaque centimètre carré n'est pas généré de façon procédurale, mais fabriqué à la main, donc quand vous explorez les cartes et que vous vous aventurez en dehors des sentiers battus, vous êtes toujours récompensé avec des pépites que vous n'attendiez pas. De la lumière qui filtre à travers les arbres, des feuilles tombant dans un étang, un magnifique panorama que vous avez dû chercher dans des coins reculés... Pour moi, la véritable magie se trouve dans tous ces petits détails.
Bien sûr, puisque je n'ai pas travaillé sur Heart of Thorns, découvrir les bande-annonces comme un fan m'a scotché, et les environnements épiques de la jungle tout en verticalité étaient simplement à couper le souffle.
JeuxOnline : Comment s'est passée la collaboration avec votre père sur Guild Wars ? Avez-vous des anecdotes à ce sujet ?
Horia Dociu : Daniel est un grand artiste, un leader solide, et un incroyable professeur. On m'a souvent demandé si on avait des désaccords familiaux - la plupart des gens ne s'imaginent pas travailler avec leur père parce que "ce serait pénible". Mais honnêtement, il a toujours été mon mentor artistique, en plus d'être mon ami, donc c'était exactement comme travailler avec un bon pote. Mes souvenirs les plus marquants, je dois dire, sont les moments où il me montrait tous les défauts d'un élément de Guild Wars 1 que je venais de finir et que je venais lui présenter fièrement. Il me demandait de tout recommencer depuis le début. Même si j'étais frustré de devoir refaire tout mon travail, il s'est avéré qu'il a toujours eu raison, et que la seconde itération a toujours été meilleure que la première. J'ai beaucoup appris comme ça : j'essayais d'anticiper ses critiques et d'éviter les erreurs qu'il mentionnerait. Mais bien entendu, j'apprenais à chaque fois qu'il trouvait quelque chose de nouveau à relever. J'ai simplement réalisé que rien n'est jamais parfait, et qu'il faut toujours demander des retours sur son travail pour l'améliorer. Par la suite, il me laissait regarder son travail et, avec mon regard neuf, il me demandait de relever ce qui ne fonctionnait pas dans ses peintures. Ca a aussi été un important élément d'apprentissage pour moi, et ça m'a enseigné qu'il ne fallait pas cacher son travail, qu'il soit en cours ou terminé.
A part ça, la plupart des gens ne savent pas que Daniel est très amusant. Il a toujours l'air sérieux, mais il adore plaisanter et a un super sens de l'humour. Mes moments préférés, c'était quand je le voyais dans le couloir et qu'on avait l'occasion de rigoler en grignotant dans la cuisine d'ArenaNet. Ca me rappelait l'époque où j'étais en CM2, et lui travaillait à Squaresoft USA. Mon premier boulot quand j'étais jeune a d'ailleurs été de tester des jeux chez eux, ce qui a aussi été le premier boulot de mon père. Je pouvais voir le studio, et je me souviens que je suis resté ébahi devant une énorme jarre à bonbons dans laquelle tout le monde pouvait piocher. Je me souviens aussi avoir demandé à mon père s'il pensait qu'on travaillerait ensemble à l'avenir, et il m'avait répondu "Un jour, bien sûr"... Et nous voilà, deux directeurs artistiques, en train de discuter à ArenaNet et de manger tous les bonbons gratuits qu'on peut. C'est un sentiment très particulier !
JeuxOnline : Le design des Sylvari a beaucoup évolué et est passé par plusieurs phases depuis leur première apparition. Comment est-ce que cette évolution s'est déroulée en interne ?
Horia Dociu : Je pense qu'une chose importante à noter est qu'on essaie toujours d'apporter de la nouveauté et de l'originalité à nos travaux. Ce serait facile de faire un dragon ou un ogre banals, mais on adore les modifier un peu pour les rendre plus intéressants. Par exemple, si vous regardez les Charr, ils sont passés de barbares équipés de catapultes dans GW1 à l'une des races les plus avancées technologiquement parlant dans GW2. On aime beaucoup re-visiter des idées, mais uniquement pour essayer de les améliorer ou de les rendre plus intéressantes. Un autre aspect important pour nos artistes est que chacun, à son niveau, contribue à la vision globale. Les concept arts ne sont pas traités comme des modèles à suivre à la lettre, mais plutôt comme des idées de départ génératrices d'émotions que les artistes doivent traduire en éléments de jeu tout en les améliorant. Cela signifie que, puisque différents artistes gèrent différents éléments du jeu, le style et le ressenti du jeu change en même temps que chacun grandit et évolue. Nous voulons être fidèles à l'histoire du monde et nous assurer qu'une certaine cohésion soit respectée mais, visuellement, nous encourageons et invitons volontiers l'arrivée de petites variations et l'évolution des designs originaux. Guild Wars est un monde vivant après tout, rien n'est immuable.
JeuxOnline : D'après vous, quelles sont les principales qualités d'un bon directeur artistique, et quelles sont vos tâches au quotidien à ce poste ?
Horia Dociu : Je pense que ça varie selon les gens et en fonction de ce que chaque studio demande de ses directeurs artistiques. Ayant plus ou moins grandi à ArenaNet, et ayant eu mon père pour mentor, les qualités que je cherche à développer sont très liées à la culture du studio :
- Collaboration : De bonnes idées peuvent venir de n'importe qui, n'importe quand. C'est mon travail de m'assurer que nous maintenons ce flux d'idées constant, pour ne pas manquer des idées intéressantes venant d'endroits inattendus, ou même d'heureux hasards.
- Clarté : Je pense qu'il est crucial de toujours être clair sur l'objectif de l'équipe. Quelle doit être l'ambiance d'un niveau, quelles émotions une créature doit évoquer, etc. Je pense que le directeur artistique doit constamment communiquer sur ce qu'il attend pour être sûr que tout le monde avance dans la même direction.
- Cohésion : Nous devons nous assurer que toutes ces grandes idées fonctionnement bien ensemble. J'adore le salami et le gâteau au chocolat, mais ça ne va pas bien ensemble. Donc si quelque chose ne colle pas dans l'immédiat, je dois le garder pour plus tard, et m'en souvenir pour le réutiliser quand ce sera à nouveau utile. Il faut qu'une certaine harmonie soit maintenue.
- Enseignement et apprentissage : Un bon artiste n'a jamais fini d'apprendre. Je pense qu'il est donc important que tous nos artistes, des nouveaux dont c'est le premier jour aux anciens qui ont plus d'une dizaine d'années d'expérience, doivent constamment relever de nouveaux défis et approcher les choses avec un œil neuf. En tant que directeur artistique, c'est mon travail de coacher les autres comme mon père m'avait coaché, afin que toute l'équipe soit motivée et s'améliore. Et comme ça, peut-être qu'un jour, un de ces jeunes artistes prendra ma place quand je partirai à la retraite... Ce qui sera le plus tard possible, j'espère. :)
JeuxOnline : On suppose souvent que les artistes doivent d'adapter aux contraintes techniques ou de design, mais vous est-il déjà arrivé de prendre une décision artistique à laquelle les développeurs et/ou designers ont dû s'adapter ?
Horia Dociu : ArenaNet est génial parce que de grandes idées ou de bons concepts peuvent arriver de n'importe où. Il est déjà arrivé qu'un concept soit bien plus cool que l'idée de base, au point que les autres départements changent ce qu'ils avaient prévu pour s'adapter à cet élément. Il nous est aussi arrivé de réaliser un concept sur lequel on n'avait pas pu travailler plus tôt pour diverses raisons, et où les designers ont regardé le tableau et ont fini par dire "Bon, essayons de faire ça maintenant, on inventera une justification - c'est trop cool pour ne pas l'inclure dans le jeu !" Chacun essaye de respecter le métier des autres, et on veut tous faire des choses cool et amusantes, donc c'est très rare qu'un département demande aux autres de faire un nivellement par le bas. Si quelque chose a l'air cool, s'intègre bien au jeu, sonne bien... les autres départements vont en profiter pour l'améliorer et le rendre encore plus cool.
JeuxOnline : Quel est le but des concept art dans le processus de création ? Peuvent-ils être utilisés dans d'autres cadres, comme des éléments d'interface ou des mécaniques de gameplay ?
Horia Dociu : Le concept art est le premier souffle de vie qui permet d'intégrer une idée sympa dans le jeu. Il peut avoir de nombreux objectifs et peut prendre plusieurs formes. Un croquis au tableau blanc, une peinture digitale, des modèles en 3D, tout ce qui communique une idée intéressante peut être transformé en élément de gameplay. On fait des concept arts pour tout et n'importe quoi. L'équipe chargée des interfaces travaille sur Photoshop avant d'intégrer leurs créations en jeu, ou peut réaliser des animations en flash, ou encore superposer ses designs d'interface avec des vidéos du jeu pour voir le rendu que ça aurait. C'est assez rare, mais il y a aussi des concept arts pour l'animation de mouvements ou combos complexes, voire même pour les effets spectaculaires de certains sorts. Il nous arrive souvent de peindre sur des captures d'écran. Peu importe où on en est du design d'un élément, on peut toujours l'améliorer avec des concept arts et des corrections.
JeuxOnline : Concernant l'avenir de Guild Wars 2, comptez-vous rester très conservateur vis-à-vis de la direction artistique imprimée par votre père ou voulez-vous montrer une évolution certaine dans le style du jeu ?
Horia Dociu : Je ne dirais pas que GW est conservateur, et si je suis conservateur, je vais me faire virer. La stagnation n'est tout simplement pas dans l'ADN de Guild Wars. Je pense que si vous regardez chaque extension de GW1, vous verrez qu'on est passés d'un continent à l'autre, chacun ayant des influences culturelles très différentes. GW2 se passe 250 ans après, et de nouvelles races ont été ajoutées, pendant que d'autres ont été réinventées. Une partie de l'esprit de Guild Wars est de toujours apporter de la fraîcheur - même les zones de GW1 qui ont été revisitées pour GW2 ne sont pas simplement des portages avec une meilleure résolution, mais plutôt une réinvention totale. Voilà ce que j'espère maintenir. Je veux faire en sorte que le monde en constante évolution de Guild Wars perdure et, à la façon ArenaNet, poser des questions comme "Comment peut-on rendre ça plus épique, plus expressif et plus unique, pour surprendre et ravir nos fans ?" Ce que je peux promettre, c'est que GW ne deviendra pas morne, ennuyeux ou super réaliste. Ce jeu est centré sur le talent artistique et la fantaisie, et ce sera toujours notre objectif.
JeuxOnline : Vous avez quitté ArenaNet en 2011 pour devenir directeur artistique sur la série inFamous. Est-ce que cette expérience a impacté votre vision pour Guild Wars 2 ?
Horia Dociu : Travailler avec de nouvelles têtes et de nouvelles technologies est toujours une expérience riche et une leçon d'humilité. Ca m'a aidé à voir ce qu'on fait bien et ce qu'on pourrait améliorer. Mais le plus important, c'est que ça a cimenté mon amour pour la franchise Guild Wars. Je trouve ça incroyable que dans notre monde, on ne soit pas liés par les mêmes règles que des jeux réalistes, et que nos fans soient partants pour nous accompagner dans nos voyages vers de nouveaux endroits, ou des versions complètement retravaillées d'endroits déjà visités. Utiliser des technologies nouvelles et différentes m'a aidé à voir comment on pourrait utiliser ces outils pour perfectionner le monde de notre jeu, mais le coeur de Guild Wars est centré sur le talent artistique et le fait de montrer aux joueurs des choses qu'ils n'ont jamais vues. VOILA ce que je veux perpétuer en faisant évoluer la franchise.
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